Un plein panier d’ennuis pour les Amap

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Article paru dans Politis le 17 juin 2010, par Philippe Chibani-Jacquot

Depuis quelques semaines, les services de la répression des fraudes contrôlent les Amap de France. Des procédures qui pourraient menacer ce système d’échanges directs.


« J’étais en train de décharger les légumes en vue de la distribution lorsqu’on m’a informé que deux inspecteurs de la répression des fraudes venaient faire un contrôle » raconte José Florini, coordinateur de l’Amap Le Balico, à Nice. La distribution se fait sur le parvis couvert de la gare des Chemins de fer de Provence, en plein centre de Nice. Les adhérents de l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne locale viennent là chaque jeudi remplir leur panier de légumes, de volailles et de fromages apportés par les producteurs.

Une fois la surprise passée, José Florini répond aux questions des deux inspecteurs. Ils demandent à voir les contrats de partenariat entre producteurs et consommateurs. La licence d’agriculteur biologique n’est pas affichée, et il manque le contrat d’un des producteurs : « Je devrais vous mettre une amende pour l’absence d’affichage de licence », lâche l’inspecteur, qui en restera à un rappel à la réglementation. Depuis la mi-mai, la rumeur de visites d’inspecteurs des services vétérinaires ou de la répression des fraudes est remontée des régions françaises. Dans le Calvados, en Rhône-Alpes, en Île-de-France, en Picardie, en Aquitaine et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, des contrôles ont été effectués tantôt sur le lieu de distribution des Amap, tantôt chez le producteur. Difficile d’avancer un chiffre et une cartographie exacts de ces contrôles. Nombre d’Amap vivent isolées, et les structures fédératives du mouvement sont naissantes (la création officielle du Mouvement interrégional des Amap date de février 2010).

Une certitude tout de même : ces contrôles sont diligentés dans le cadre d’une enquête nationale lancée par la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF). « C’est une enquête programmée annuellement qui vise à vérifier si les obligations, en matière de protection des consommateurs, sont bien respectées », résume Marie Taillard, responsable des relations avec la presse à la DGCCRF. En 2010, les circuits courts de distribution (Amap, vente à la ferme, démarchage à domicile…) sont passés à la loupe. Un choix plutôt logique puisqu’ils font également l’objet d’une étude d’un groupe de travail au sein du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture afin de favoriser leur développement. Le Mouvement interrégional des Amap (Miramap) y participe, d’où l’étonnement de Jérôme Dehondt, l’un des trois porte-parole du Miramap, lorsqu’il ­découvre sur le tard cette mise sous surveillance : «  J’étais encore récemment avec le directeur général à l’Alimentation en réunion de travail. »

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Sur le terrain, le déroulement des contrôles a parfois laissé les témoins perplexes. Bruno Frémont, producteur de pommes bios, était présent lors de la visite des inspecteurs sur le lieu de distribution de l’Amap de Courseulles, dans le Calvados. « Ils avaient une connaissance fragmentaire du système. Les Amap sont le fait de militants qui ont une certaine conscience politique. Pour ces inspecteurs, dont le travail est de faire respecter des règlements à longueur de journée, cela ne correspond à rien », concède-t-il. « Ils voulaient absolument que je livre des bouteilles de jus de pommes avec une étiquette. J’ai ferraillé une demi-heure avec eux : je passe un contrat avec les consommateurs pour livrer le produit le plus loyal possible, je n’utilise que mes propres pommes. C’est tout de même mieux que ceux qui posent une belle étiquette et ­utilisent des fruits qui ne viennent pas de leur verger  ! »

Un autre motif d’incompréhension est apparu lors de plusieurs contrôles. Des inspecteurs ont invité les Amap à se déclarer en tant que point de vente collectif (Statut des magasins de vente à la ferme et des magasins de producteurs). Faux ! explique Jérôme Dehondt : « L’Amap n’est pas un lieu de vente, c’est un partenariat entre des consommateurs et un ou plusieurs producteurs, dont les produits sont réglés à l’avance, livrés et retirés en un lieu donné, à date prévue. ». La mise au point est d’importance car, si d’aventure les Amap se voyaient imposer ce statut de point de vente collectif, c’est toute une réglementation sanitaire qui s’abattrait sur des associations de bénévoles : étiquetage de chaque produit, interdiction au client de manipuler les denrées, utilisation de comptoirs réfrigérés pour la viande, les œufs… Autant signer la fin des Amap tout de suite.

L’heure n’est pourtant pas à la panique. L’enquête pourrait aider à séparer le bon grain de l’ivraie, estime Gaëtan Vallée, coordinateur de l’Alliance Provence, qui fédère les Amap de la région Paca : « Tapez Amap sur Google. Beaucoup de sites utilisent le terme alors qu’ils n’ont rien à voir avec notre charte […]. Le problème, c’est que plusieurs informations se sont percutées. »

Un mois avant la note de la DGCCRF lançant l’enquête, une autre note, publiée le 7 avril par la Direction générale de l’alimentation, qui supervise les services vétérinaires, rappelait la nécessité de faire respecter les règles dans les « points de vente collectifs ». Or, dans le cadre de la réforme générale des politiques publiques, services vétérinaires et répression des fraudes sont fusionnés depuis le 1er janvier 2010. Des inspecteurs ont cru bon de faire le raccourci entre les deux injonctions, histoire, peut-être, de faire deux contrôles en un et d’assumer ainsi la nouvelle rigueur budgétaire. Marie Taillard, de la DGCCRF tempère : «  Dès qu’on s’intéresse à quelque chose de nouveau, il peut y avoir une période de flottement. » Espérons qu’elle soit la plus courte possible.