Un peuple de promeneurs

De Politis 62
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Il s'agit d'un article de Valérie de Saint-Do dans la revue Cassandre / Horschamp (printemps 2010)

Le titre est emprunté au très beau livre d'Alexandre Romanès - éd. Le temps qu'il fait – 1996


Rroms, gitans, manouches, « voyageurs ». Comment les nommer? Eux-mêmes se donnent plusieurs noms. Gitans en Espagne, Manouches (Manush) au nord de l'Europe, ... Le mot Rroms, qui désigne ceux d'Europe centrale et orientale (soit l'immense majorité d'entre eux) est désormais choisi par leurs représentants européens pour désigner l 'ensemble de ce peuple, même si la novlangue administrative française impose « gens du voyage ». Étranger à leur propre dénomination, le mot « Tsigane » reste péjoratif à l'est de l'Europe. « Rroms » est la graphie conseillée par l'Union rromani internationale



Ils sont dix ou douze millions formant aujourd'hui la minorité la plus importante d'Europe. Au-delà des clichés, négatifs ou romanesques, quel est-il, ce peuple de « promeneurs » qui se heurte aujourd'hui à un terrible paradoxe? Car nous, les gadjé, nous sommes nourris de l'imaginaire qu'ils distillent, de Carmen et Esmeralda aux Saltimbanques d'Apollinaire. Nous vibrons au son du jazz manouche et du Taraf des Haïdouks, nous applaudissons Tony Gatlif et Kusturica ... Peuple de promeneurs, mais aussi de poètes, de musiciens, de danseurs.

Cet imaginaire se heurte aujourd'hui à une réalité violente. Car ce que vivent de nombreux Rroms au quotidien, de l'Europe orientale à la France, c'est la stigmatisation brutale, des conditions sociales inacceptables, les violences et le refoulement aux frontières. Les préjugés ont la vie dure : cinq siècles de persécution et un génocide – que vient rappeler à propos le film Liberté, de Tony Gatlif – n'ont pas eu leur peau. Face à un rejet qui rappelle des heures sombres, un vent de révolte se lève. Bon nombre de Rroms ont pris en main ce combat et le portent jusqu'aux plus hautes instances européennes, pour faire reconnaître la singularité d'une culture et ses apports à l'Europe. Combat « poïélitique » dirait l'ami Lubat, car la force des Rroms est aussi, est surtout, d'essence poétique. Et si, à la reconnaître au lieu de la combattre, l'Europe désenchantée avait tout à gagner?