« Libérez la terre agricole ! » : différence entre les versions

De Politis 62
Aller à la navigation Aller à la recherche
(Nouvelle page : Un article de '''Yoran Jolivet''', paru dans Politis Hors Série n°48, en octobre-novembre 2008. '''La spéculation foncière rend difficile l'accès aux terrains à cultiver et me...)
 
Aucun résumé des modifications
Ligne 7 : Ligne 7 :
Chaque année, 66 000 hectares de terre
Chaque année, 66 000 hectares de terre
agricole disparaissent en France. C'est
agricole disparaissent en France. C'est
l'équivalent d'un département qui se trans-
l'équivalent d'un département qui se transforme en bitume, centre commercial ou
forme en bitume, centre commercial ou
habitations tous les dix ans. Pour 6 000
habitations tous les dix ans. Pour 6 000
agriculteurs qui s'installent, 35 000 arrê-
agriculteurs qui s'installent, 35 000 arrêtent chaque année. Dans le même temps,
tent chaque année. Dans le même temps,
entre 5 000 et 10 000 demandes d'installation ne sont pas satisfaites, estime la
entre 5 000 et 10 000 demandes d'instal-
lation ne sont pas satisfaites, estime la
Confédération paysanne. Un paradoxe
Confédération paysanne. Un paradoxe
qui s'explique en partie par la spécula-
qui s'explique en partie par la spéculation foncière.
tion foncière.


''« Le prix du foncier n'a plus rien à voir avec la
''« Le prix du foncier n'a plus rien à voir avec la
valeur agricole de la terre. Si vous faites la dif
valeur agricole de la terre. Si vous faites la différence entre le prix du fermage et le prix d'achat,
férence entre le prix du fermage et le prix d'achat,
il faut au moins cinquante ans pour rembourser son emprunt »'', déplore Michel Houssin, responsable de la commission fon
il faut au moins cinquante ans pour rembour
ser son emprunt »'', déplore Michel Hous
sin, responsable de la commission fon
cière à la Confédération paysanne. Pour
cière à la Confédération paysanne. Pour
lui, le meilleur moyen d'arrêter l'hémor
lui, le meilleur moyen d'arrêter l'hémorragie serait de sortir des règles du sacro-
ragie serait de sortir des règles du sacro-
saint marché de l'offre et de la demande.
saint marché de l'offre et de la demande.
Un organisme aurait le pouvoir d'influer
Un organisme aurait le pouvoir d'influer
Ligne 36 : Ligne 28 :
lors d'actes de vente. Or, ce serait un début de
lors d'actes de vente. Or, ce serait un début de
solution pour raisonner le marché »''. Robert
solution pour raisonner le marché »''. Robert
Levesque, directeur des études de la fédé
Levesque, directeur des études de la fédération nationale des Safer, l'admet : ''« Nous
ration nationale des Safer, l'admet : ''« Nous
sommes obligés de suivre l'évolution des prix
sommes obligés de suivre l'évolution des prix
du marché. Mais, de toute façon, s'installer
du marché. Mais, de toute façon, s'installer
par acquisition a toujours été très difficile. »''
par acquisition a toujours été très difficile. »''


'''Face à cette situation''', des citoyens s'orga
'''Face à cette situation''', des citoyens s'organisent. Dans la plupart des cas, ils se rassemblent ponctuellement autour d'un projet, sous forme de groupement foncier
nisent. Dans la plupart des cas, ils se ras
agricole (GFA) ou de société civile immobilière (SCI). Mais ces projets sont isolés
semblent ponctuellement autour d'un pro
jet, sous forme de groupement foncier
agricole (GFA) ou de société civile immo
bilière (SCI). Mais ces projets sont isolés
et fragiles dans le temps car, si l'un des
et fragiles dans le temps car, si l'un des
souscripteurs décide de se retirer, il met
souscripteurs décide de se retirer, il met
Ligne 60 : Ligne 47 :
l'association créent la foncière Terre de
l'association créent la foncière Terre de
liens, société en commandite par actions
liens, société en commandite par actions
(SCA) labellisée Finansol, en novem
(SCA) labellisée Finansol, en novembre 2006. ''« Le but de la foncière'', indique
bre 2006. ''« Le but de la foncière'', indique
son gérant, Philippe Cacciabue, ''est de
son gérant, Philippe Cacciabue, ''est de
réunir du capital sous forme d'investissement
réunir du capital sous forme d'investissement
d'épargne solidaire pour acheter des fermes et
d'épargne solidaire pour acheter des fermes et
sortir de la dichotomie public-privé. Elles
sortir de la dichotomie public-privé. Elles
deviennent alors une propriété privée mais col
deviennent alors une propriété privée mais collective. »'' Les souscripteurs achètent des
lective. »'' Les souscripteurs achètent des
actions et, avec son capital, la foncière
actions et, avec son capital, la foncière
acquiert des terrains qu'elle loue ensuite
acquiert des terrains qu'elle loue ensuite
Ligne 79 : Ligne 64 :
de critères. Il s'applique pour le moment
de critères. Il s'applique pour le moment
sous certaines conditions.
sous certaines conditions.
) et un accompagne
) et un accompagnement par des réseaux locaux.
ment par des réseaux locaux.
Le capital de la foncière approche le million
Le capital de la foncière approche le million
d'euros, et un appel public d'épargne doit
d'euros, et un appel public d'épargne doit
être lancé cet automne. Ce capital a déjà
être lancé cet automne. Ce capital a déjà
permis l'acquisition de cinq lieux, quatre
permis l'acquisition de cinq lieux, quatre
projets sont en cours avec un plan de finan
projets sont en cours avec un plan de financement bouclé, et une quinzaine sont en
cement bouclé, et une quinzaine sont en
attente de nouveaux investissements. La
attente de nouveaux investissements. La
ferme de Charrette, près de Chalonne,
ferme de Charrette, près de Chalonne,
dans l'Isère, a ainsi pu s'agrandir de 15 ha.
dans l'Isère, a ainsi pu s'agrandir de 15 ha.
Francis Surnom, l'un des paysans, témoi-
Francis Surnom, l'un des paysans, témoigne : ''« Avoir de la terre pour avoir de la terre
gne : ''« Avoir de la terre pour avoir de la terre
ne nous intéressait pas trop, car la problématique du monde agricole, c'est de vivre pauvre
ne nous intéressait pas trop, car la probléma
tique du monde agricole, c'est de vivre pauvre
pour mourir riche. »''
pour mourir riche. »''


Ligne 102 : Ligne 83 :
Par contre, l'argent investi est immobilisé,
Par contre, l'argent investi est immobilisé,
et la foncière doit sans cesse augmenter
et la foncière doit sans cesse augmenter
son capital si elle veut continuer de sou
son capital si elle veut continuer de soutenir des projets. ''« Elle n'a pas été conçue
tenir des projets. ''« Elle n'a pas été conçue
pour durer éternellement'', précise Philippe
pour durer éternellement'', précise Philippe
Cacciabue. ''On l'a créée pour montrer l'exem
Cacciabue. ''On l'a créée pour montrer l'exemple, réveiller les consciences et modifier les règles
ple, réveiller les consciences et modifier les règles
du jeu public. L'idée n'est pas de devenir propriétaire de la moitié de la France. »''
du jeu public. L'idée n'est pas de devenir pro
priétaire de la moitié de la France. »''


'''Mis à part l'épargne solidaire''', Terre de liens
'''Mis à part l'épargne solidaire''', Terre de liens
Ligne 118 : Ligne 96 :
est en train de « dépropriétariser » ses
est en train de « dépropriétariser » ses
trente hectares, qui donnent des légumes
trente hectares, qui donnent des légumes
et nourrissent vaches et brebis. Leur lait pro
et nourrissent vaches et brebis. Leur lait produit un fromage frais et crémeux qui exhale
duit un fromage frais et crémeux qui exhale
l'herbe des montagnes. Benoît et Veronica cultivent des terres appartenant à une
l'herbe des montagnes. Benoît et Vero
nica cultivent des terres appartenant à une
société civile immobilière (SCI) dont ils
société civile immobilière (SCI) dont ils
sont à l'origine. Mais dès le début, en 2003,
sont à l'origine. Mais dès le début, en 2003,
le but était de sortir du concept de pro
le but était de sortir du concept de propriété individuelle. C'est pourquoi la SCI
priété individuelle. C'est pourquoi la SCI
donnera l'intégralité des terres à la fondation Terre de liens quand celle-ci verra
donnera l'intégralité des terres à la fon
dation Terre de liens quand celle-ci verra
le jour, probablement en 2009. ''« Cela nous
le jour, probablement en 2009. ''« Cela nous
permet de savoir que ce lieu continuera d'exis
permet de savoir que ce lieu continuera d'exister quoi qu'il arrive. Tout notre travail, cet
ter quoi qu'il arrive. Tout notre travail, cet
amour donné à la terre, ne sera pas perdu sur
amour donné à la terre, ne sera pas perdu sur
une simple décision, ou à cause d'un problème
une simple décision, ou à cause d'un problème
Ligne 136 : Ligne 109 :
explique Benoît Thiry.
explique Benoît Thiry.


'''La fondation Terre de liens''' devra ainsi per
'''La fondation Terre de liens''' devra ainsi permettre de recevoir des dons sous forme
mettre de recevoir des dons sous forme
d'argent ou de terres, pour garantir aux
d'argent ou de terres, pour garantir aux
projets agricoles leur viabilité environ
projets agricoles leur viabilité environnementale et sociale dans le temps. ''« Le
nementale et sociale dans le temps. ''« Le
rapport à l'enjeu de la préservation de la terre
rapport à l'enjeu de la préservation de la terre
se doit d'être collectif, on ne peut pas le lais
se doit d'être collectif, on ne peut pas le laisser aux propriétaires individuels, qui auraient
ser aux propriétaires individuels, qui auraient
le droit de polluer et de détruire la valeur environnementale d'un lieu. C'est une aberration
le droit de polluer et de détruire la valeur envi
ronnementale d'un lieu. C'est une aberration
du droit sacré de la propriété qui permet ça »,''
du droit sacré de la propriété qui permet ça »,''
estime Jérôme Deconinck. C'est pour
estime Jérôme Deconinck. C'est pourquoi l'acquisition collective de terres, en
quoi l'acquisition collective de terres, en
les sortant du marché foncier, remet en
les sortant du marché foncier, remet en
question la notion même de propriété
question la notion même de propriété

Version du 29 novembre 2008 à 20:01

Un article de Yoran Jolivet, paru dans Politis Hors Série n°48, en octobre-novembre 2008.

La spéculation foncière rend difficile l'accès aux terrains à cultiver et met en péril l'agriculture paysanne. Un collectif de citoyens propose des alternatives à la propriété individuelle.

Lin juillet 2006 3.jpg

Chaque année, 66 000 hectares de terre agricole disparaissent en France. C'est l'équivalent d'un département qui se transforme en bitume, centre commercial ou habitations tous les dix ans. Pour 6 000 agriculteurs qui s'installent, 35 000 arrêtent chaque année. Dans le même temps, entre 5 000 et 10 000 demandes d'installation ne sont pas satisfaites, estime la Confédération paysanne. Un paradoxe qui s'explique en partie par la spéculation foncière.

« Le prix du foncier n'a plus rien à voir avec la valeur agricole de la terre. Si vous faites la différence entre le prix du fermage et le prix d'achat, il faut au moins cinquante ans pour rembourser son emprunt », déplore Michel Houssin, responsable de la commission fon cière à la Confédération paysanne. Pour lui, le meilleur moyen d'arrêter l'hémorragie serait de sortir des règles du sacro- saint marché de l'offre et de la demande. Un organisme aurait le pouvoir d'influer sur les prix : la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Mais, selon Michel Houssin, celle-ci « ne joue pas son rôle. Elle utilise très peu son droit de préemption des terres avec révision des prix lors d'actes de vente. Or, ce serait un début de solution pour raisonner le marché ». Robert Levesque, directeur des études de la fédération nationale des Safer, l'admet : « Nous sommes obligés de suivre l'évolution des prix du marché. Mais, de toute façon, s'installer par acquisition a toujours été très difficile. »

Face à cette situation, des citoyens s'organisent. Dans la plupart des cas, ils se rassemblent ponctuellement autour d'un projet, sous forme de groupement foncier agricole (GFA) ou de société civile immobilière (SCI). Mais ces projets sont isolés et fragiles dans le temps car, si l'un des souscripteurs décide de se retirer, il met l'exploitation en péril. C'est en partant de ce constat que l'association Terre de liens a vu le jour en 2003. « On voulait aller plus loin, explique son directeur, Jérôme Deconinck. On a donc travaillé sur deux notions pour soutenir la démarche collective d'accès au foncier : l'épargne solidaire et le don. » Pour commencer, les membres de l'association créent la foncière Terre de liens, société en commandite par actions (SCA) labellisée Finansol, en novembre 2006. « Le but de la foncière, indique son gérant, Philippe Cacciabue, est de réunir du capital sous forme d'investissement d'épargne solidaire pour acheter des fermes et sortir de la dichotomie public-privé. Elles deviennent alors une propriété privée mais collective. » Les souscripteurs achètent des actions et, avec son capital, la foncière acquiert des terrains qu'elle loue ensuite sous forme de fermage. Elle garantit une certaine forme d'éthique dans les projets agricoles, à travers la signature d'un bail environnemental (Prévu par la loi d'orientation agricole de janvier 2006, le bail environnemental garantit au propriétaire un usage de ses terres respectueux de l'environnement, en fonction d'une quinzaine de critères. Il s'applique pour le moment sous certaines conditions. ) et un accompagnement par des réseaux locaux. Le capital de la foncière approche le million d'euros, et un appel public d'épargne doit être lancé cet automne. Ce capital a déjà permis l'acquisition de cinq lieux, quatre projets sont en cours avec un plan de financement bouclé, et une quinzaine sont en attente de nouveaux investissements. La ferme de Charrette, près de Chalonne, dans l'Isère, a ainsi pu s'agrandir de 15 ha. Francis Surnom, l'un des paysans, témoigne : « Avoir de la terre pour avoir de la terre ne nous intéressait pas trop, car la problématique du monde agricole, c'est de vivre pauvre pour mourir riche. »

L'acquisition des terres par la foncière les retire du marché, puisqu'elles n'ont plus vocation à être revendues (sauf en cas extrême de crack boursier par exemple). Par contre, l'argent investi est immobilisé, et la foncière doit sans cesse augmenter son capital si elle veut continuer de soutenir des projets. « Elle n'a pas été conçue pour durer éternellement, précise Philippe Cacciabue. On l'a créée pour montrer l'exemple, réveiller les consciences et modifier les règles du jeu public. L'idée n'est pas de devenir propriétaire de la moitié de la France. »

Mis à part l'épargne solidaire, Terre de liens a choisi de solliciter des dons à travers une fondation, pour libérer une partie de la terre agricole. Dans le Sud de la France, par exemple, au pied de l'imposant pic du Midi de Bigorre, la ferme de la Coume est en train de « dépropriétariser » ses trente hectares, qui donnent des légumes et nourrissent vaches et brebis. Leur lait produit un fromage frais et crémeux qui exhale l'herbe des montagnes. Benoît et Veronica cultivent des terres appartenant à une société civile immobilière (SCI) dont ils sont à l'origine. Mais dès le début, en 2003, le but était de sortir du concept de propriété individuelle. C'est pourquoi la SCI donnera l'intégralité des terres à la fondation Terre de liens quand celle-ci verra le jour, probablement en 2009. « Cela nous permet de savoir que ce lieu continuera d'exister quoi qu'il arrive. Tout notre travail, cet amour donné à la terre, ne sera pas perdu sur une simple décision, ou à cause d'un problème personnel qui entraînerait la vente du domaine », explique Benoît Thiry.

La fondation Terre de liens devra ainsi permettre de recevoir des dons sous forme d'argent ou de terres, pour garantir aux projets agricoles leur viabilité environnementale et sociale dans le temps. « Le rapport à l'enjeu de la préservation de la terre se doit d'être collectif, on ne peut pas le laisser aux propriétaires individuels, qui auraient le droit de polluer et de détruire la valeur environnementale d'un lieu. C'est une aberration du droit sacré de la propriété qui permet ça », estime Jérôme Deconinck. C'est pourquoi l'acquisition collective de terres, en les sortant du marché foncier, remet en question la notion même de propriété privée. Elle replace la terre agricole dans sa fonction première, celle de nourrir les hommes.

YORAN JOLIVET