Le Louvre Lens : en toute impunité : Différence entre versions
(2 révisions intermédiaires par le même utilisateur non affichées) | |||
Ligne 2 : | Ligne 2 : | ||
* Un article paru dans la brique n°28 (juillet-août 2011) | * Un article paru dans la brique n°28 (juillet-août 2011) | ||
* [http://labrique.net/numeros/numero-28-juillet-aout-2011/article/le-louvre-lens-en-toute-impunite Article consultable sur le site du journal] | * [http://labrique.net/numeros/numero-28-juillet-aout-2011/article/le-louvre-lens-en-toute-impunite Article consultable sur le site du journal] | ||
− | * Nous | + | * Nous reproduisons cet article ci-dessous |
Ligne 15 : | Ligne 15 : | ||
− | + | [[Fichier:EnTouteImpunite-1.jpg|center]] | |
Le 29 novembre 2004, Jean-Pierre Raffarin désigne Lens comme ville d’accueil de la future antenne du Louvre. Les travaux commencent cinq ans plus tard, en novembre 2009, et doivent normalement prendre fin vers 2012. Le Louvre-Lens, c’est 150 millions d’euros dont 90 de la Région. Vingt hectares de superficie totale et 7000 m2 de galeries, une salle de 300 places et 700 000 visiteurs attendus la première année. C’est le renommé cabinet d’architectes japonais SANAA [1] qui a été choisi pour concevoir les plans. Le musée s’installe sur l’ancien carreau de la fosse [2] 9/9bis à quelques pas du Stade Bollaert. Pour les promoteurs du projet, « l’ambition est d’imaginer et de construire la "destination Louvre-Lens", une destination touristique nouvelle et originale, fruit du croisement du plus célèbre musée du monde et des valeurs et héritages du territoire qui l’accueille. » [3] Autour du Louvre trois zones urbaines sont en cours d’élaboration. Sous la direction de Jean-Louis Subileau, urbaniste et gérant de la société « La fabrique de la ville », les urbanistes Christian de Portzamparc et Michel Desvignes [4] travaillent sur l’aménagement d’une première zone dite « d’urgence », dans un rayon de cinq kilomètres autour du musée. Transports, aménagement des espaces libres, parkings, etc. Tout doit être prêt pour la fin 2012. | Le 29 novembre 2004, Jean-Pierre Raffarin désigne Lens comme ville d’accueil de la future antenne du Louvre. Les travaux commencent cinq ans plus tard, en novembre 2009, et doivent normalement prendre fin vers 2012. Le Louvre-Lens, c’est 150 millions d’euros dont 90 de la Région. Vingt hectares de superficie totale et 7000 m2 de galeries, une salle de 300 places et 700 000 visiteurs attendus la première année. C’est le renommé cabinet d’architectes japonais SANAA [1] qui a été choisi pour concevoir les plans. Le musée s’installe sur l’ancien carreau de la fosse [2] 9/9bis à quelques pas du Stade Bollaert. Pour les promoteurs du projet, « l’ambition est d’imaginer et de construire la "destination Louvre-Lens", une destination touristique nouvelle et originale, fruit du croisement du plus célèbre musée du monde et des valeurs et héritages du territoire qui l’accueille. » [3] Autour du Louvre trois zones urbaines sont en cours d’élaboration. Sous la direction de Jean-Louis Subileau, urbaniste et gérant de la société « La fabrique de la ville », les urbanistes Christian de Portzamparc et Michel Desvignes [4] travaillent sur l’aménagement d’une première zone dite « d’urgence », dans un rayon de cinq kilomètres autour du musée. Transports, aménagement des espaces libres, parkings, etc. Tout doit être prêt pour la fin 2012. | ||
Ligne 23 : | Ligne 23 : | ||
Les décideurs locaux – Daniel Percheron en tête – voient grand. Le Louvre ne doit pas seulement transformer la ville de Lens mais avoir des répercussions sur tout le bassin minier. L’objectif est avant tout économique : faire revenir les investisseurs dans le bassin minier [5]. Subileau, Portzamparc et Desvignes travaillent donc déjà sur le remodelage d’une deuxième zone beaucoup plus large – dite « de centralité » – qui embrasse Lens, Loos-en-Gohelle et Liévin. A terme [6], les agglomérations de Hénin-Carvin et Béthune doivent finir de construire la douzième métropole française : Euralens. Soit 575_000 habitants. Et ainsi créer un « équilibre régional » avec la métropole lilloise. L’association Euralens est créée en juillet 2009 sous l’impulsion de Daniel Percheron. Elle regroupe 60 adhérents : la Région, la Chambre de commerce, de nombreuses entreprises, le RC Lens, la SNCF, etc. Euralens s’entoure « d’experts » regroupés dans un « centre de qualité ». Parmi eux Pablo Otaola, urbaniste sur le projet du musée Guggenheim de Bilbao, qui déclarait il y a peu vouloir implanter des hôtels en pleine cités minières. Mais aussi Sybille Vincendon, rédactrice en chef adjointe de Libération et Didier Fusillier, directeur de Lille 3000. Plusieurs projets sont déjà dans les cartons_ : l’installation d’un tramway qui rejoindrait les villes de Lens et Liévin, l’implantation de bureaux dans un mini-quartier d’affaire près d’une gare TGV, de complexes hôteliers, d’éco-cités. | Les décideurs locaux – Daniel Percheron en tête – voient grand. Le Louvre ne doit pas seulement transformer la ville de Lens mais avoir des répercussions sur tout le bassin minier. L’objectif est avant tout économique : faire revenir les investisseurs dans le bassin minier [5]. Subileau, Portzamparc et Desvignes travaillent donc déjà sur le remodelage d’une deuxième zone beaucoup plus large – dite « de centralité » – qui embrasse Lens, Loos-en-Gohelle et Liévin. A terme [6], les agglomérations de Hénin-Carvin et Béthune doivent finir de construire la douzième métropole française : Euralens. Soit 575_000 habitants. Et ainsi créer un « équilibre régional » avec la métropole lilloise. L’association Euralens est créée en juillet 2009 sous l’impulsion de Daniel Percheron. Elle regroupe 60 adhérents : la Région, la Chambre de commerce, de nombreuses entreprises, le RC Lens, la SNCF, etc. Euralens s’entoure « d’experts » regroupés dans un « centre de qualité ». Parmi eux Pablo Otaola, urbaniste sur le projet du musée Guggenheim de Bilbao, qui déclarait il y a peu vouloir implanter des hôtels en pleine cités minières. Mais aussi Sybille Vincendon, rédactrice en chef adjointe de Libération et Didier Fusillier, directeur de Lille 3000. Plusieurs projets sont déjà dans les cartons_ : l’installation d’un tramway qui rejoindrait les villes de Lens et Liévin, l’implantation de bureaux dans un mini-quartier d’affaire près d’une gare TGV, de complexes hôteliers, d’éco-cités. | ||
+ | |||
+ | |||
+ | [[Fichier:EnTouteImpunite-2.jpg|center]] | ||
+ | |||
+ | |||
+ | |||
Version actuelle datée du 10 janvier 2012 à 22:01
- Un article paru dans la brique n°28 (juillet-août 2011)
- Article consultable sur le site du journal
- Nous reproduisons cet article ci-dessous
Sommaire
Le Louvre Lens : en toute impunité
Une antenne du Louvre se construit à Lens. Le chantier n’est pas encore sorti de terre mais élus et urbanistes ont déjà la tête pleine de rêves... « métropolitains ». Décryptage.
Le 29 novembre 2004, Jean-Pierre Raffarin désigne Lens comme ville d’accueil de la future antenne du Louvre. Les travaux commencent cinq ans plus tard, en novembre 2009, et doivent normalement prendre fin vers 2012. Le Louvre-Lens, c’est 150 millions d’euros dont 90 de la Région. Vingt hectares de superficie totale et 7000 m2 de galeries, une salle de 300 places et 700 000 visiteurs attendus la première année. C’est le renommé cabinet d’architectes japonais SANAA [1] qui a été choisi pour concevoir les plans. Le musée s’installe sur l’ancien carreau de la fosse [2] 9/9bis à quelques pas du Stade Bollaert. Pour les promoteurs du projet, « l’ambition est d’imaginer et de construire la "destination Louvre-Lens", une destination touristique nouvelle et originale, fruit du croisement du plus célèbre musée du monde et des valeurs et héritages du territoire qui l’accueille. » [3] Autour du Louvre trois zones urbaines sont en cours d’élaboration. Sous la direction de Jean-Louis Subileau, urbaniste et gérant de la société « La fabrique de la ville », les urbanistes Christian de Portzamparc et Michel Desvignes [4] travaillent sur l’aménagement d’une première zone dite « d’urgence », dans un rayon de cinq kilomètres autour du musée. Transports, aménagement des espaces libres, parkings, etc. Tout doit être prêt pour la fin 2012.
Eura... merde
Les décideurs locaux – Daniel Percheron en tête – voient grand. Le Louvre ne doit pas seulement transformer la ville de Lens mais avoir des répercussions sur tout le bassin minier. L’objectif est avant tout économique : faire revenir les investisseurs dans le bassin minier [5]. Subileau, Portzamparc et Desvignes travaillent donc déjà sur le remodelage d’une deuxième zone beaucoup plus large – dite « de centralité » – qui embrasse Lens, Loos-en-Gohelle et Liévin. A terme [6], les agglomérations de Hénin-Carvin et Béthune doivent finir de construire la douzième métropole française : Euralens. Soit 575_000 habitants. Et ainsi créer un « équilibre régional » avec la métropole lilloise. L’association Euralens est créée en juillet 2009 sous l’impulsion de Daniel Percheron. Elle regroupe 60 adhérents : la Région, la Chambre de commerce, de nombreuses entreprises, le RC Lens, la SNCF, etc. Euralens s’entoure « d’experts » regroupés dans un « centre de qualité ». Parmi eux Pablo Otaola, urbaniste sur le projet du musée Guggenheim de Bilbao, qui déclarait il y a peu vouloir implanter des hôtels en pleine cités minières. Mais aussi Sybille Vincendon, rédactrice en chef adjointe de Libération et Didier Fusillier, directeur de Lille 3000. Plusieurs projets sont déjà dans les cartons_ : l’installation d’un tramway qui rejoindrait les villes de Lens et Liévin, l’implantation de bureaux dans un mini-quartier d’affaire près d’une gare TGV, de complexes hôteliers, d’éco-cités.
Idéologie métropolitaine
Derrière le colossal projet Euralens, c’est toute l’idéologie de la « métropolisation » qui se donne à voir : le développement capitaliste dans sa forme urbaine. Qui par la même occasion englobe toutes les autres : « éco-cités », grands bâtiments à tendance culturelle, centre d’affaire, tourisme, transports doux, économie numérique, etc. Ce sont les secteurs de pointe du nouveau capitalisme qui doivent faire leur trou dans le bassin minier. Disséminés sur le territoire d’Euralens, cinq « clusters » [7] doivent voir le jour dans les secteurs de l’économie du sport et du bien-être, dans la logistique et le transport (« Euralogistic »), dans le numérique culturel, les éco-matériaux et métiers d’art. Le tout en lien avec les laboratoires de recherche, privés et publics. Aujourd’hui, la métropole est avant tout technopole. L’ambition est de former et surtout d’attirer investisseurs et matière grise. Mais pour cela, il faut transformer l’image de la ville et de la Région. Symboliquement, le Louvre est là pour ça. Concrètement, les urbanistes doivent finir le travail.
Notes
[1] Qui vient d’obtenir l’équivalent prix Nobel d’architecture.
[2] L’endroit où les mineurs descendaient sous terre.
[3] Brochure, « Euralens, la ville de demain expérimentée à l’échelle d’un pôle métropolitain de plus de 575.000 habitants », septembre 2010.
[4] Cf. La Brique n°26
[5] Première page de la brochure de présentation « Euralens, la ville de demain expérimentée à l’échelle d’un pôle métropolitain de plus de 575.000 habitants » l’objectif est clair : « un surcroit de revenus de l’ordre d’0,9 Mds€, soit l’équivalent de 2,1 Mds€ de PIB ou 0,11 point de croissance pour la France. »
[6] Les premiers objectifs du projet s’étendent sur une vingtaine d’années... Rendez- vous en 2031.
[7] Anglicisme des milieux financiers et communicants ; désigne des « grappes d’activités » composées d’entreprises, d’institutions de recherche et formation qui travaillent en étroite collaboration.