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Confédération paysanne. Un paradoxe
 
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question la notion même de propriété
 
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Version actuelle datée du 31 mars 2011 à 20:43


Un article de Yoran Jolivet, paru dans Politis Hors Série n°48, en octobre-novembre 2008.

La spéculation foncière rend difficile l'accès aux terrains à cultiver et met en péril l'agriculture paysanne. Un collectif de citoyens propose des alternatives à la propriété individuelle.

Lin juillet 2006 3.jpg

Chaque année, 66 000 hectares de terre agricole disparaissent en France. C'est l'équivalent d'un département qui se transforme en bitume, centre commercial ou habitations tous les dix ans. Pour 6 000 agriculteurs qui s'installent, 35 000 arrêtent chaque année. Dans le même temps, entre 5 000 et 10 000 demandes d'installation ne sont pas satisfaites, estime la Confédération paysanne. Un paradoxe qui s'explique en partie par la spéculation foncière.

« Le prix du foncier n'a plus rien à voir avec la valeur agricole de la terre. Si vous faites la différence entre le prix du fermage et le prix d'achat, il faut au moins cinquante ans pour rembourser son emprunt », déplore Michel Houssin, responsable de la commission fon cière à la Confédération paysanne. Pour lui, le meilleur moyen d'arrêter l'hémorragie serait de sortir des règles du sacro- saint marché de l'offre et de la demande. Un organisme aurait le pouvoir d'influer sur les prix : la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Mais, selon Michel Houssin, celle-ci « ne joue pas son rôle. Elle utilise très peu son droit de préemption des terres avec révision des prix lors d'actes de vente. Or, ce serait un début de solution pour raisonner le marché ». Robert Levesque, directeur des études de la fédération nationale des Safer, l'admet : « Nous sommes obligés de suivre l'évolution des prix du marché. Mais, de toute façon, s'installer par acquisition a toujours été très difficile. »

Face à cette situation, des citoyens s'organisent. Dans la plupart des cas, ils se rassemblent ponctuellement autour d'un projet, sous forme de groupement foncier agricole (GFA) ou de société civile immobilière (SCI). Mais ces projets sont isolés et fragiles dans le temps car, si l'un des souscripteurs décide de se retirer, il met l'exploitation en péril. C'est en partant de ce constat que l'association Terre de liens a vu le jour en 2003. « On voulait aller plus loin, explique son directeur, Jérôme Deconinck. On a donc travaillé sur deux notions pour soutenir la démarche collective d'accès au foncier : l'épargne solidaire et le don. » Pour commencer, les membres de l'association créent la foncière Terre de liens, société en commandite par actions (SCA) labellisée Finansol, en novembre 2006. « Le but de la foncière, indique son gérant, Philippe Cacciabue, est de réunir du capital sous forme d'investissement d'épargne solidaire pour acheter des fermes et sortir de la dichotomie public-privé. Elles deviennent alors une propriété privée mais collective. » Les souscripteurs achètent des actions et, avec son capital, la foncière acquiert des terrains qu'elle loue ensuite sous forme de fermage. Elle garantit une certaine forme d'éthique dans les projets agricoles, à travers la signature d'un bail environnemental (Prévu par la loi d'orientation agricole de janvier 2006, le bail environnemental garantit au propriétaire un usage de ses terres respectueux de l'environnement, en fonction d'une quinzaine de critères. Il s'applique pour le moment sous certaines conditions. ) et un accompagnement par des réseaux locaux. Le capital de la foncière approche le million d'euros, et un appel public d'épargne doit être lancé cet automne. Ce capital a déjà permis l'acquisition de cinq lieux, quatre projets sont en cours avec un plan de financement bouclé, et une quinzaine sont en attente de nouveaux investissements. La ferme de Charrette, près de Chalonne, dans l'Isère, a ainsi pu s'agrandir de 15 ha. Francis Surnom, l'un des paysans, témoigne : « Avoir de la terre pour avoir de la terre ne nous intéressait pas trop, car la problématique du monde agricole, c'est de vivre pauvre pour mourir riche. »

L'acquisition des terres par la foncière les retire du marché, puisqu'elles n'ont plus vocation à être revendues (sauf en cas extrême de crack boursier par exemple). Par contre, l'argent investi est immobilisé, et la foncière doit sans cesse augmenter son capital si elle veut continuer de soutenir des projets. « Elle n'a pas été conçue pour durer éternellement, précise Philippe Cacciabue. On l'a créée pour montrer l'exemple, réveiller les consciences et modifier les règles du jeu public. L'idée n'est pas de devenir propriétaire de la moitié de la France. »

Mis à part l'épargne solidaire, Terre de liens a choisi de solliciter des dons à travers une fondation, pour libérer une partie de la terre agricole. Dans le Sud de la France, par exemple, au pied de l'imposant pic du Midi de Bigorre, la ferme de la Coume est en train de « dépropriétariser » ses trente hectares, qui donnent des légumes et nourrissent vaches et brebis. Leur lait produit un fromage frais et crémeux qui exhale l'herbe des montagnes. Benoît et Veronica cultivent des terres appartenant à une société civile immobilière (SCI) dont ils sont à l'origine. Mais dès le début, en 2003, le but était de sortir du concept de propriété individuelle. C'est pourquoi la SCI donnera l'intégralité des terres à la fondation Terre de liens quand celle-ci verra le jour, probablement en 2009. « Cela nous permet de savoir que ce lieu continuera d'exister quoi qu'il arrive. Tout notre travail, cet amour donné à la terre, ne sera pas perdu sur une simple décision, ou à cause d'un problème personnel qui entraînerait la vente du domaine », explique Benoît Thiry.

La fondation Terre de liens devra ainsi permettre de recevoir des dons sous forme d'argent ou de terres, pour garantir aux projets agricoles leur viabilité environnementale et sociale dans le temps. « Le rapport à l'enjeu de la préservation de la terre se doit d'être collectif, on ne peut pas le laisser aux propriétaires individuels, qui auraient le droit de polluer et de détruire la valeur environnementale d'un lieu. C'est une aberration du droit sacré de la propriété qui permet ça », estime Jérôme Deconinck. C'est pourquoi l'acquisition collective de terres, en les sortant du marché foncier, remet en question la notion même de propriété privée. Elle replace la terre agricole dans sa fonction première, celle de nourrir les hommes.

YORAN JOLIVET